Une place pour ce qu’on n’a jamais vraiment pu dire
Beaucoup de personnes vivent un décalage entre leur expérience intime et ce qu’elles s’autorisent à exprimer, notamment lorsqu’il s’agit de leur histoire familiale ou affective. Ce texte propose de penser ce paradoxe et de montrer comment la parole en thérapie peut permettre de ne plus s’annuler silencieusement.
Laurine Albertini
12/4/20254 min read
Il y a des ressentis, des impressions qu’il vaut mieux enfouir au fond de soi et oublier
Il y a des ressentis qu’on n’ose pas formuler.
Des impressions fugaces, des souvenirs, des gestes, des paroles qui restent coincés quelque part entre la gorge et la poitrine. On les balaie en se disant : « Ce n’est pas si important », « Ça ne vaut pas la peine de remuer tout ça ».
Parfois, il s’agit de scènes très précises ; parfois, d’un climat plus diffus. Des petites choses qui, mises bout à bout, finissent par peser lourd.
L’appareil psychique tente de mettre à distance ce qui dérange trop : on minimise, on oublie, on “range dans un coin”. Non pas par faiblesse, mais par nécessité : à certains moments de la vie, sentir et penser tout ce qui a fait mal serait tout simplement trop.
Jusqu’au jour où ce que l’on a enfoui commence à se manifester autrement : troubles du sommeil, anxiété, phobies, difficultés relationnelles, sentiment de ne pas trouver sa place… Le passé ne revient pas toujours sous forme de souvenirs, mais sous forme de symptômes.


Pourquoi c’est si difficile de parler de soi et de ses « problèmes ».
Parler de soi n’est jamais simple. Parler de ce qui fait mal dans sa propre famille, dans son couple, avec ses proches, l’est encore moins.
Dès qu’on touche à ces liens, plusieurs obstacles se présentent en même temps :
La loyauté
Une part de nous leur reste profondément attachée à nos parents, à l’entourage familiale. Critiquer un comportement, peut donner l’impression de trahir, de manquer de respect, d’être ingrat/e.
On se dit :
« Ils ont souffert eux aussi. »
« Ils ont fait ce qu’ils ont pu. »
« Je ne vais pas leur faire de la peine. »
L’idéal de la famille et du couple
La société valorise beaucoup l’image de la “bonne famille”, du couple harmonieux, des parents forcément bien intentionnés. Reconnaître que, pour soi, ces liens ont été ou sont encore sources de souffrance, c’est se mettre en décalage avec cette image.
On peut alors se sentir à part, presque anormal/e :
« Chez les autres, ça a l’air de bien se passer… ». Ça doit être moi le problème.
La peur de ne pas être cru/e et d’être à côté de la plaque
Quand on commence à évoquer ce qu’on ressent, il arrive que l’entourage réponde par la minimisation :
« Tu exagères. »
« Tu prends tout trop à cœur. »
« Ce n’était pas si grave. »
À force, on finit par douter de soi. On se demande si l’on n’est pas effectivement “trop sensible”, si notre souffrance est légitime.
Le risque de bouleverser tout un équilibre
Dire, mettre en mots, exprimer, c’est parfois remettre en question un équilibre familial entier, des habitudes, des silences, des alliances implicites.
Celui ou celle qui parle peut alors être désigné/e comme “le problème”, simplement parce qu’il/elle vient nommer ce que tout le monde préférait ignorer.
Ce n’est donc pas un manque de volonté qui empêche de parler, mais un véritable conflit intérieur : rester fidèle à l’image de la famille et de ses proches, ou rester fidèle à ce que l’on ressent.
Parler en thérapie : rompre le pacte de silence
Commencer une thérapie, c’est souvent entrer pour la première fois dans un espace où ce conflit peut être regardé de près, sans être jugé.
La thérapie offre un tiers, quelqu’un qui n’appartient pas à ce système-là et qui peut accueillir ce qui n’a pas trouvé sa place ailleurs. Parler en séance, ce n’est pas « accuser » pour le plaisir : c’est essayer de comprendre et donner du sens à des contradictions qui n’en avaient pas.
Au fil du travail, plusieurs mouvements deviennent possibles :
Mettre des mots sur ce qui était confus : distinguer une gêne diffuse d’un véritable sentiment d’injustice, reconnaître qu’un geste ou une parole a été intrusif, humiliant, blessant.
Entendre que l’on peut aimer quelqu’un et le détester, on parle ici d’ambivalence, cette coexistence de sentiments opposés qui est normale mais souvent difficile à accepter.
Remettre les responsabilités du bon côté et clarifier qui porte quoi
Repérer les répétitions : comment certaines relations actuelles rejouent-elles des scénarios anciens ? Comment se repositionner ? Dire « non » et poser des limites claires, là où, auparavant, on ne le pouvait pas.
Rompre le pacte de silence en thérapie ne signifie pas tout raconter à tout le monde, ni couper les ponts automatiquement. Cela signifie d’abord ne plus invalider son ressenti, ne plus s’annuler pour préserver l’image des autres, et, à partir de là, choisir plus librement la manière dont on souhaite se positionner dans ses liens.
Vous n’êtes pas seul/e à vivre ce paradoxe
Se sentir partagé/e entre le besoin de comprendre sa souffrance et la peur de faire du mal à ceux qu’on aime est un paradoxe très fréquent, même s’il reste peu visible.
Beaucoup de personnes vivent cette tension :
vouloir se respecter,
vouloir rester loyal/e,
ne pas savoir comment concilier les deux.
Si vous vous reconnaissez dans ce conflit, cela signifie probablement que quelque chose, dans votre histoire, demande à être entendu. Une démarche thérapeutique ne promet ni oubli ni une vie parfaite. Elle offre la possibilité de ne plus être seul/e avec ces questions, de donner une forme à ce qui était indicible, de retrouver peu à peu une position plus juste pour vous.
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